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Publié le Sunday 30 October 2011
L'Atelier Art Actuel - Galerie Christian Croset présente l'exposition Anne GRATADOUR « Peintures » du 10 novembre au 26 novembre 2011.
Invité pour un voyage autour de l'atelier d'Anne Gratadour, le visiteur d'humeur vagabonde se retrouve non dans une selve obscure, mais une jungle, plus ardente que celle du douanier Rousseau, de rafflesias explosives, et grosses têtes de dahlias secouées par un sirocco sensuel et poignant. Une virevoltante vague de couleurs chaudes s'est abattue sur le campement de toiles blanches.
Or dans ce déferlement organique, cette géographie de couleurs, se dressent deux vestiges comme précolombiens, deux grands tableaux, l'un structuré autour de plusieurs X à très large brosse ténébreuse dignes d'un A.R. Penck, l'autre avec des croix jaunes et blanches de carrefours sur fond noir, énigmatiques, grands caractères étrusques ou aztèques : ça s'entrecroise, ça s'épate, s'évase, mânes de Motherwell !...
Et, un peu plus loin, sont accrochés deux petits formats, insolites, deux quintessences à quelques coups de brosse, tracés aux quatre vents, vitraux clairs postés comme des sémaphores à la frontière d'un pays de delta où les eaux ocellées s'alentissent...
Sur le bleu nuit, de larges empreintes tridactyles, rose fuchsia, rouge carmin, indigo, témoignent du passage de quelque animal fabuleux, panthère-lyre ou tangara fastueux. On suit la piste au long d'une allée calme de palmiers du voyageur, ravenalas qui font la roue, émeraude virant au bleu, et l'on se souvient de Moctezuma qui, pour tenter de contrer la marche des temps, fit présent au conquistador de cinq éventails de plumes versicolores : c'est l'entrée de la série des éventails, la descente dans la crypte de verre cathédrale.
Il y a quelque chose de paradoxal dans cette nouvelle série : sauf pour les faiseurs de ces mauvais tableaux autrefois baptisés navets ou justement éventails (ces derniers étant souvent exécutés à la va-vite en série quasi industrielle), la peinture d'éventails supposait la minutie d'un De Nittis, la miniature japonisante, le distique symboliste ; or nous avons ici grand format et geste large. L'intérêt du paradoxe est de faire tomber la pensée en arrêt, avant qu'elle ne s'élance, chasseresse, sur l'idée. Oui, qu'est-ce qu'un coup de pinceau ? sinon, comme Aristote le disait du cercle, la contraction du mouvement et du repos ? sinon un éclair de l'espace-temps ? Quand la brosse en vol se déplie, se déploie, s'épanouit, écrase son baiser incarnat sur la toile, c'est l'événement.
Derrière les aléas, les allées et venues de l'éventail, il y a le regard. Ce qui est déroutant, c'est l'arrêt de l'éventail en plein vol, le suspens, l'instant, l'angélus... Pendant cette pause, ce palier temporel, l'air se déplace encore sous l'effet interdit de la couleur des lames de taffetas changeant. On écoute « chaque battement dont le coup prisonnier recule l'horizon délicatement ».
Ce qui est émouvant dans cette série d'Anne Gratadour, c'est l'achèvement, car ces grandes peintures palpitantes, où s'éparpillent immobiles les coups de brosse comme quelque chose de bleu qui paraîtrait une aile, forment des vantaux sereins de jaspe polychromes, ardoisés, amarante, lilas, pers... De rêves et de rivures... Des angles et des anges... Par photosynthèse en somme, on y voit tapis de feuilles mortes se souvenant de leur danse aérienne et flamboyante sur lesquels en superposition se distille le jus tantôt bleu d'une pluie de printemps, tantôt fuligineux comme brume diaphane d'arrière-saison ; on y voit plus encore, par triangulation amoureuse de la vie, avec des tensions d'hypoténuses mauves, marqueterie du fond de la rivière, à l'élégance chatoyante : le fond est immuable tandis que par-dessus glisse éperdument la transparence du flux. On retient son souffle, attendant que le vantail s'ouvre sur l'inconnu.
C'est une peinture méditative, presque orientale. On dirait que c'est le moment où l'on prend le temps de rédiger une géométrie, un art poétique. Et d'ailleurs, à la contemplation de ces miroirs, les vers se bousculent en mémoire, les roses envolées de Marceline Desbordes-Valmore qui « dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées »
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir
La vague en a paru rouge et comme enflammée
ou l'Ondine d'Aloysius Bertrand, frôlant «les losanges sonores de [ma] fenêtre illuminée » pour s'évanouir « en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus», ou ces chants des rives d'automne qui, par Li Po, nous remontent du 8e siècle :
eau limpide, lune blanche, pure
lune claire, hérons blancs en plein vol
écoutant la fille qui ramasse des châtaignes d'eau
chemin de retour, dans la nuit, elle chante
Qu'est-ce qu'un coup de pinceau ? Le battement d'une aile de papillon au Brésil ? Une tornade de cent phrases s'amoncelant ? « Chut ! Si nous faisons du bruit le temps va recommencer. »
Texte de Pierre-Alain Tilliette.
Informations pratiques :
L'Atelier Art Actuel - Galerie Christian Croset : 4, rue Edmond Vitry - 94130 Nogent sur Marne
La galerie est ouverte : jeudi vendredi et samedi de 15 à 19 h et tous les jours sur rendez-vous.
Parking du marché 50 m
Tel : 01 48 72 53 19
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